Rétention, droit de
rétention, droit
de, droit de retenir une chose appartenant à un débiteur qui n’a pas payé
sa dette.
Il existe une très grande diversité de types de
garanties que peuvent exiger les créanciers de leurs débiteurs. Celles-ci sont
aujourd’hui si nombreuses qu’un créancier, même muni de sûretés, n’est plus
certain de recouvrer le montant de sa créance s’il se trouve en concurrence avec
d’autres créanciers, eux aussi munis de sûretés, dont certaines primeront la
sienne — les créanciers institutionnels jouissant, à cet égard, de privilèges et
de super-privilèges. Devant cet état de fait, les créanciers imaginent chaque
jour de nouveaux mécanismes pour s’assurer du remboursement de leur créance. De
cet état de fait résulte qu’aujourd’hui le droit des sûretés n’a plus de
cohérence d’ensemble, car il est soumis aux effets conjugués des créations
hasardeuses de la pratique et des constructions jurisprudentielles qui tentent
de les justifier.
Dès lors, les créanciers en reviennent aux
méthodes les plus sûres pour garantir soit le paiement de la dette, soit la
récupération du bien fourni aux débiteurs. Deux méthodes assez frustes
coexistent :
- ne transmettre la propriété
du bien que lorsqu’il sera intégralement
payé ; cette méthode a recours à des
procédés comme le crédit-bail ou la clause de
réserve de propriété ;
- conserver le bien tant que la créance n’est
pas totalement honorée ; cette méthode consiste en l’utilisation d’un droit de
rétention. Celui-ci existe soit parce qu’il est rattaché à une sûreté réelle
comme le gage ou le nantissement, soit indépendamment de toute sûreté.
Le droit de rétention,
qui existe déjà en droit romain, se caractérise
par sa redoutable efficacité, puisqu’il offre la
faculté au créancier qui détient la chose de son
débiteur d’en refuser la restitution jusqu’à
complet paiement de sa créance. Il est tellement efficace
qu’on le qualifie parfois de « voie de fait
privée », de « prise en otage d’un
bien », voire de « droit sauvage du tout ou
rien ».
Le droit de rétention doit son efficacité à ce
que, à l’inverse des autres sûretés, il ne donne pas de droit préférentiel sur
un bien, mais procure un moyen de pression sur le débiteur, sans concurrence
avec les autres créanciers. C’est pourquoi la jurisprudence la plus récente
considère que le droit de rétention n’est même pas une sûreté. Pour autant, ni
la loi ni la jurisprudence ne précisent la nature juridique du droit de
rétention à l’égard de laquelle règne une grande incertitude.
On peut remarquer que
le droit de rétention s’appuie sur un sentiment
d’équité et même sur une réaction
psychologique naturelle : le refus de restitution de la chose au
débiteur est instinctif, dès lors que celui-ci n’a
pas rempli sa mission. Aussi, il s’agit quasiment d’un
procédé de justice privée qui pourrait
s’apparenter à l’exception
d’inexécution contractuelle, encore que le droit de
rétention fonctionne non seulement en matière
contractuelle, mais aussi en matière extra-contractuelle.
La très grande efficacité du droit de rétention
oblige à soumettre sa mise en œuvre à un certain nombre de conditions, afin
qu’il puisse produire tous ses effets.
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LES CONDITIONS DU DROIT DE
RÉTENTION |
Les conditions de mise en œuvre du droit de
rétention sont assez simples : il faut une créance, la détention d’un bien, et
un lien de connexité entre la créance et la détention.
La créance doit être certaine, liquide et
exigible ; elle n’est pas obligatoirement une créance d’argent, elle peut être
aussi une créance de faire ou de ne pas faire.
La détention du bien étant une condition
d’existence du droit de rétention, il ne peut s’agir que d’un bien corporel et
non d’un bien incorporel, sauf si celui-ci est constaté dans un titre au
porteur. Pourtant, certains textes spécifiques ont créé des droits de rétention
fondés sur une possession fictive, c’est-à-dire des droits de rétention sur une
chose que le créancier ne détient pas. C’est le cas du décret du 30 septembre
1953, qui permet notamment aux vendeurs de véhicules automobiles achetés à
crédit de bénéficier d’un droit de rétention fictif sur le véhicule tant que
celui-ci n’est pas intégralement payé.
Enfin, la détention doit être régulière,
c’est-à-dire que le créancier doit détenir le bien de bonne foi. Une détention
née d’un acte illicite, d’une fraude, voire d’une faute, ne peut donc permettre
l’exercice d’un droit de rétention, même si elle apparaît légitime.
2.3 |
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Le lien de connexité entre la créance et
la détention |
En droit positif, le lien
de connexité entre la créance et la détention peut
être de trois ordres. Il peut s’agir d’un lien de
connexité matérielle, c’est-à-dire que la
créance est née à l’occasion de la
détention de la chose. Cela implique que si le rétenteur
se dessaisit du bien, il perd son droit de rétention. Par
exemple, le garagiste qui répare un véhicule peut le
conserver tant que le débiteur n’a pas payé la
réparation. En revanche, s’il rend le véhicule au
débiteur sans que la réparation ait été
réglée, et que le débiteur lui rapporte par la
suite le même véhicule pour une autre réparation,
le garagiste ne pourra conserver le véhicule pour se faire payer
la première réparation, car entre-temps il aura perdu la
connexité matérielle avec le bien.
Dans la connexité juridique, la créance et
la détention sont nées d’un même rapport juridique, contrat ou quasi-contrat
(par exemple, le cas du comptable qui établit les comptes d’un client en vertu
d’un contrat qui les unit). Si le client refuse ensuite de rémunérer son
travail, le comptable peut conserver les documents comptables jusqu’à complet
paiement de sa prestation.
Troisième type de connexité reconnue en
droit positif : celle qui est à la fois matérielle et juridique. C’est en
réalité la plus fréquente car la plupart du temps un contrat est passé en même
temps que la chose est remise.
La connexité conventionnelle correspond à
l’idée qu’il devrait être possible à une personne de remettre la détention d’un
bien à une autre personne, sans qu’il y ait d’autre lien entre la créance et la
détention que la volonté des parties de les lier. Mais ce type de connexité n’a
toujours pas été consacré en droit positif, et l’utilité d’une connexité
conventionnelle n’est pas avérée.
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LES EFFETS DU DROIT DE
RÉTENTION |
Le droit de rétention a pour principal effet
de permettre au créancier de conserver le bien tant que la créance n’est pas
payée. Cette faculté est d’autant plus nuisible que ce bien retenu est la
plupart du temps d’une valeur très supérieure au montant de la créance. Ce
principe ne rencontre que peu de limites.
3.1 |
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Le principe du refus de
restitution |
Le refus de restitution peut, en premier
lieu, être opposé au débiteur, et ce tant que le paiement de la créance n’est
pas intégral, en vertu du principe de l’indivisibilité du droit de
rétention.
S’il est vrai que le droit de rétention ne
procure au créancier ni droit de suite, ni droit de préférence, il n’en reste
pas moins que le droit de rétention a aussi des effets à l’égard des tiers, car
le droit du créancier rétenteur est valable erga omnes. Ainsi la
rétention du bien est opposable à tous les autres créanciers du débiteur. Quant
à un conflit entre deux créanciers rétenteurs, il ne devrait pas pouvoir
survenir, car en principe seul l’un d’entre eux sera détenteur de ce bien. Mais
il se peut qu’un créancier rétenteur possédant la chose soit confronté à un
créancier muni d’un droit de rétention fictif. Dans ce cas particulier, la
jurisprudence décide traditionnellement que le détenteur réel l’emporte sur le
détenteur fictif.
Le refus de restitution est aussi opposable
aux ayants cause du débiteur. C’est une solution de bon sens, car l’inverse
ruinerait l’efficacité du droit de rétention en permettant par exemple au
créancier d’aliéner son bien pour que son ayant cause à titre particulier puisse
le récupérer.
De façon encore plus significative, le droit
de rétention est opposable au véritable propriétaire du bien, même si celui-ci
n’est pas le débiteur, à condition que le lien de connexité entre la créance et
la détention soit matériel, car la dette est alors attachée à la chose et non au
débiteur.
3.2 |
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Les limites du refus de
restitution |
Il n’y a que très peu de cas dans lesquels
le créancier rétenteur est contraint de remettre le bien en cause, même s’il n’a
pas été désintéressé. Ce sont les cas dans lesquels la paralysie du bien cause
un préjudice trop grave pour qu’on le laisse entre les mains du créancier,
c’est-à-dire quand le seul intérêt du créancier ne permet pas de l’emporter sur
ceux des nombreuses autres personnes concernées.
Tel est le cas si le débiteur est soumis à
une procédure de liquidation judiciaire, car la loi du 25 janvier 1985
(article 159, alinéa 4) prévoit que le liquidateur peut récupérer le bien sur
lequel porte la créance et le vendre. Dans cette circonstance, le droit de
rétention du créancier se reporte sur le prix de cession.
Une autre limite au pouvoir du créancier
rétenteur de refuser la restitution du bien peut être posée par un juge
d’instruction ou par un juge de la mise en état pour les besoins d’une procédure
pénale. Le rétenteur doit alors remettre le bien même sans être désintéressé, en
espérant que le bien lui reviendra au terme de la procédure.
On voit bien que, hormis ces deux
hypothèses, finalement assez marginales, le droit de rétention est bien l’un des
moyens les plus sûrs d’obtenir le paiement d’une créance.
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